Crin -Blanc ( chapitre 4 )
"Un seigneur....",avait dit Antonio .Le vieux gardian avait vécu toute sa vie avec les chevaux de Camargue .Il savait reconnaître , dans leurs jeux , quand ils s'affrontent à la course ou quand ils luttent , celui qui a le sang fier , celui qui est de la race des chefs.
Crin-Blanc tenait toutes ses promesses .Il était plus élancé que les autres poulains .Son poitrail était large , bien ouvert .Ses jambes nerveuses n'étaient qu'un paquet de muscles.
"Un cheval de fer ...." , disait orgueilleusement Antonio .
Un cheval redoutable , surtout , au sang brûlant , et d' une violence terrible.Les hommes l'avaient arraché à sa mère à l'âge oú l'on a peur de tout ce qui bouge sur le marais, et même de son ombre.Il n'était qu'un tout jeune poulain quand ce grand malheur lui était arrivé.
Cela , il ne pouvait pas l'oublier .Les hommes étaient ses ennemis .Comme les bêtes vraiment sauvages,les sangliers , les renards , Crin-Blanc savait reconnaître de très loin l'odeur des hommes .
Dès que la silhouette d'un gardian apparaissait dans la plaine , Crin-Blanc , qui menait le jeu de la troupe des jeunes chevaux , lancait un hennissement et donnait le signal de la fuite .Antonio lui-même n'avait jamais réussi à l ' approcher .
Mais Crin-Blanc reconnaissait Folco.
Plusieurs fois , poussant son bateau jusqu'au fond du marais , le garçon réussit à accoster aux grandes terres que parcourent les manades .
Au soir tombant , les chevaux descendent au fleuve pour boire .
Dans la troupe , le garçon distinguait tout de suite son ami .Il appelait Crin-Blanc ....Le jeune cheval répondait par un hennissement un peu rauque , mais qu' il aurait voulu très doux .Il s' approchait , humant l'air , les naseaux dilatés , attiré mais craintif.
Il se souvenait sûrement de leur première rencontre au bord de l'eau , quand ils étaient tous deux de la même taille , le poulain et le garçon.
Maintenant le cheval avait grandi.Il regardait de haut ce petit bout d'homme qui l'empêchait de s'enfuir , rien qu ' en lui parlant doucement .
Mais malgré la caresse de cette voix amie , Crin-Blanc , arrêté à quelques pas de Folco , au bord du marais qui marquait la frontière du royaume des chevaux , semblait lui dire :"Toi , tu es de chez les hommes .Nous ne sommes pas du même clan."
Les saisons passèrent .
Pour obeir au grand-père Eusebio , Folco se loua pour les mois d'une saison de pêche sur le Rhône .
Jusqu' à la nuit , on jetait les filets qui vous déchirent les mains .
Le soir , on accostait à la rive bourbeuse d'une petite île pareille à toutes les autyres , avec ses bouquets de tamaris et ses touffes de salicornes .Une petite île qui semblait voguer , emportée lentement à la dérive , vers la mer .
Les pêcheurs allumaient leur feu de camp pour cuire la soupe de ^poisson .Puis , roulé dans une couverture , sur un lit d'herbes , on dormait à la belle étoile .
Malgré la fatigue d'une grande journée de pêche , Folco restait longtemps sans trouver le sommeil .Il rêvait de Crin-Blanc .Loin du mas , du marais , des manades , il ne cassait de penser à son ami , le prince blanc .
Un soir , en abordant un de ces îlots mouvants avec l'équipe du petit cotre , Folco aperçut dans la boue la marque fraîche de sabots .Il en parla au patron de la barque .Après la soupe , les hommes , autour du feu , fumaient une dernière pipe .
"Je ne connais pas grand-chose aux chevaux , moi , dit le patron , mais il y en a , parait-il , qui ont leurs lunes .
"Leurs lunes ?...
"Eh oui , petit...Ils ont de drôles de caprices .Ils se battent comme des enragés .Ils sont si terribles que les autres les chassent de la troupe .Et puis , il y a les solitaires...Ceux-là ce sont les fiers.Il leur faudrait toute la terre à eux tout seuls , pour galoper ! Un jour , ils font une fugue .Ils quittent la troupe .
"Vous en avez vu , vous , patron ?
"Oui .Je me souviens d'un grand vieux cheval !....Il venait aux îles , comme ça ...Il se jetait à la nage dans un bras du fleuve .Cette île-là , ce devait être son royaume , à lui ....et puis , il revenait à la manade ."
Folco pensait à son ami Crin-Blanc , fier , ombrageux , indomptable .Crin-Blanc qui fuyait les hommes et qui était bien capable de vouloir imposer durement sa loi aux autres chevaux.
Et en s'endormant sur la grève , le petit pêcheur aimait à se représenter l'image du prince blanc nageant dans le courant , jusqu'à l'île déserte au milieu du Rhône , qu'il était seul à fouler de ses sabots .
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